Me voici donc reparti. Premier coup de pédale... Et merde ! Mal au genou. Même douleur, même endroit. 11 jours sans vélo et je ne suis même pas sorti de la rue de la guesthouse que mon genou me lance a chaque flexion. Bon, c'est sans doute parce que je suis encore froid... Roulons pour voir. Je sors de la ville, sans en sortir vraiment puisque la longue route qui va occuper ma journée est une succession de villes et villages dans la continuité de la capitale. Bref c'est moche. Tout comme mon genou. Je roule 30 km en tentant différentes positions, des pauses, des étirements... Je réfléchis sérieusement a rebrousser chemin, mais pour faire quoi ? Rentrer a l'auberge pour attendre 11 jours de plus ? Pour consulter un médecin qui m'enverra faire une radio puis me dira : « je ne vois rien », ou « arrêtez le vélo », ou un autre truc peu rassurant. Ou demonter le velo, l'envoyer en France (ou au diable !) et continuer le voyage en transports en commun. Non, pas moyen. Il faudra bien que je reparte un jour, donc essayons aujourd'hui.
Je roule donc la matinée, avale un laghman (bol de nouilles avec viande et legumes) et repars. Ce repas est l'occasion de constater que j'ai a peine plus de 2 euros en poche... Le pays a beau être peu cher, ça fait quand même un peu court. Je retirerai a la prochaine grande ville, qui n'est pas tout a fait sur ma route. Cet oubli m'oblige a faire 10 km de plus (dont je me serai bien passés, vous imaginez) pour... ne pas trouver de DAB, mais seulement un bureau de change qui me transforme 20 dollars en 900 Soms (et oui, ici on paye en som...). Ça suffira bien.
Après avoir quitter cette longue route droite, je bifurque vers la montagne et commence a grimper, légèrement, avant de me poser pour la nuit. Elle sera bruyante car les ruisseaux qui coupent le chemin au bord duquel je me suis posé n'empêche pas la circulation, même en pleine nuit !
Aux pieds de la montagne.
Le lendemain ça grimpe, donc. 12 km pour arriver au dernier village, aux pieds de la montagne. Un peu d'eau pour la journée, un gros pain, et je suis parti. Le genou est sensible sans être un gros handicap non plus. Et ça reste stable au long de la journée, donc je continue.
A 15H, j'ai fait 30 km et grimpé de 1000m (de 860 a 1860 environ) Il me reste 20km et le col se passe par un tunnel qui est sensé être a 3500m... En Turquie, j'avais déjà monter 1000m en une grosse matinée, mais je commence a me dire que 2700m dans la journée, c'est bêtement ambitieux... Je vais donc sans doute le faire en 2 jours. Sauf si... un camion passe, me salue, je salue, je faire signe de grimper, il s'arrête, c'est gagné. Je cours jusqu'à la cabine et fait le mime pour dire qu'il y a un tunnel au bout et qu'il est plutôt dangereux pour un vélo (mal asphalté, mal aéré, étroit et pas éclairé...). Donc mon gaillard prends vélo et bagages dans sa benne et c'est parti pour la grimpette facile ! Enfin, facile pour moi car le camion en bave. Il ne fait pas plus de 15 km/h. La route continue un moment comme avant, passant d'un coté puis de l'autre de la rivière, puis arrivé au fond de la vallée, les lacets commencent et la je dois dire que je prends la mesure de ma « bête ambition ». La route serpente sur la même paroi, s'élevant inexorablement jusqu'à des hauteurs impressionnantes, desquelles on finit par voir la route sur laquelle on était il y a une heure, tout en bas... Terrifiant. Je suis décidément bien content d'avoir embarqué a bord d'un camion ! Puis, en haut, vient la neige et finalement le tunnel, glauque a souhait. Mais une fois de l'autre coté, quelle vue. Le soleil brille, même si c'est la fin de journée, et la vallée s'étend 1500m plus bas. Je fais signe a mon chauffeur que je ferais bien la descente a vélo, donc il me laisse descendre et le remercier chaleureusement. Le temps de remettre les bagages sur l'engin et de prendre quelques photos, je file a toute allure vers la plaine.
VIDEO ICI
Mon sauveur, pardon, chauffeur.
Arrivé en bas, j'ai juste le temps d'aller jusqu'au prochain village prendre de l'eau et trouver un coin idyllique, au bord d'un ruisseau et avec des montagnes dans toutes les directions, le soleil se couche.
Au réveil, je constate sur le thermomètre qu'il fait 0 degré dans la chambre de la tente ! Et effectivement, quand je sors, tout est givrée. La tente, le vélo et l'herbe sont tout blanc. J'attends donc avec impatiente les premiers rayons directs du soleil pour que tout ça fonde puis sèche...
Je commence par me ravitailler dans des petits villages, mais ici les magasins sont peu fournis. Puis je descend la vallée de Kojomkul. La piste est mauvaise (sable, graviers, cailloux et taule ondulée) mais les parois rocheuses de part et d'autres de la rivière rivalisent de formes et de couleurs. Ne pouvant en rendre le charme par des photos trop étroites, je tente quelques petites vidéos, sans commentaire : ICI et LA.
Je perds un peu de temps a réparer une crevaison, puis a chercher une fontaine et/ou un magasin dans un village qui n'a ni l'un ni l'autre. Finalement, ce soir je pompe l'eau d'un ruisseau dans mon filtre et c'est bien suffisant.
Avant de redecoller, je tente de régler mon dérailleur arrière, toute une poésie que cette petite pièce indispensable mais souvent versatile ! Quelques courses plus conséquentes a Chayek (je trouve même des oranges !), pique-nique au bord de la route puis je quitte les berges de la rivière pour m'élever lentement vers la montagne. L'asphalte, c'est fini pour plusieurs jours ! Et la route caillouteuse est épuisante en montée. Je pédale plusieurs heures pour arriver aux portes des gorges qu'il va me falloir remonter vers Song Kol (Kol signifiant « lac »).
Je campe dans le lit de la rivière, au milieu du vent et des cailloux, mais pas le choix ce soir.
Le lendemain, je traverse le dernier village indique sur ma carte, mais en fait de village ce ne sont que quelques baraquements des ouvriers de la mine de charbon. Pas de pain. Il va falloir économiser ce qui me reste...
Ce jour-la, je monte mes 1000m de dénivelés (de 2250 a 3250 environ) dans un paysage superbe. D'abord les gorges, puis les lacets partant a l'assaut du col, et enfin le col en lui-même, tutoyant les sommets enneigés alentour. La montée m'épuise mais quelles récompenses :
Vidéo pendant, ICI
vidéo au sommet, LA
Ça y est, je suis a Song Kol. L'endroit est mythique et m'a bien fait fantasmer depuis que je prépare ce voyage. Je redescend vers le lac et commence a en faire le tour. Encore pas mal de kilomètres avant de l'approcher au plus près mais dans quel décor ! Les prairie jaunies parsemées de ruisseaux qui descendent en serpentant vers des eaux d'un bleu profond, le tout entouré de collines brunes et de roches couvertes de neiges. Les dernières yourtes de la saison et leurs troupeaux de chevaux, vaches, chèvres et brebis ajoutent un peu de vie a cet ensemble sauvage.
Ce soir, camping avec vue, et un cavalier qui vient me saluer et repart dans le couchant.
Je suis a 3000m cette nuit mais j'ai pris mes précautions et je n'aurait pas froid, malgré les 2degres dans la tente au matin. Mais pas le temps de trop trainer, j'ai aujourd'hui encore une longue journée qui m'attend. La matinée m'est nécessaire pour faire le tour du lac, sur une piste rarement plate, toujours caillouteuse et qui fait bon nombre de détours. Puis l'ascension du col me permettant de sortir de ce bassin commence, sous la menace des nuages, qui me protègent un peu du soleil mais pourraient bien se mettre a neiger d'un moment a l'autre... Autre sujet d'inquiétude, après le déjeuné, je n'ai plus de biscuit ou de pain, donc c'est chocolat et cacahouètes pour me donner des forces !
Heureusement, une famille qui s'apprêtait a se mettre a table m'invite a partager son repas sous la tente (une yourte coute quand même assez cher...). Un bol de laghman et quelques gorgées de Kumis (lait de jument fermentée) complète donc mon déjeuner. D'un point de vue gastronomique, c'est plutôt mauvais mais le goût de la rencontre et de la générosité prime sur le reste.
On a essayé de me refiler la femme en rouge. Pour rigoler, j'espère...
Ils m'indiquent le sommet a 3 km. Je repars donc confiant, mais je me rends compte dans la montée que mon bandeau d'oreilles est tombé de ma poche... Je fais 500m a pied pour tenter de le retrouver mais sans succès. Dois-je redescendre plus bas... pour remonter ensuite. Le choix est difficile mais non, au diable ce bout de tissu, j'en trouverai un autre !
Ce sera non pas 3 mais 6 km qui m'amèneront finalement en haut, après « seulement » 400m d'ascension. Ce qui m'entraine tout de même a 3450m, ma plus haute altitude jusque la, immortalisée dans une vidéo ICI.
La vidéo prise « sur le moment » doit bien refléter mon état d'esprit du moment : usé mais heureux. Et la descente qui m'attend vaut aussi tous ses efforts. Je m'arrête souvent pour prendre en photos les vallées qui s'ouvrent progressivement a mes pieds. Mais ces nombreux arrêts ne sont pas suffisants pour laisser refroidir les patins de freins qui, malgré le froid, chauffent jusqu'à sentir le caoutchouc brulée ! Bon courage a ceux qui veulent aborder Song Kol par l'ouest (la route principale selon les cartes) !
Une vue magistrale parmi tant d'autres !
J'ai envie de pain pour le petit déjeuner, donc je pousse jusqu'au prochain village, ou on me regarde arriver avec encore plus de curiosité qu'a l'accoutumée... Je fais encore un kilomètre ou deux et me pose entre les dunes de roches, au soleil couchant. La parenthèse Song Kol se referme. La suite devrait être moins exigeante.
La journée suivante commence par une cote courte mais rude qui a néanmoins le mérite de m'offrir un dernier panorama sur la vallée que je quitte.
Puis ça descend et surtout je retrouve le bitume ! Je peux donc laisser rouler un peu... Le midi, je déjeune rapidement dans un petit café au bord de la route (oui vous avez devinez, laghman!) ou de si charmants bambins me harcellent pour que je les prenne en photos, mais aussi pour que je leur donne de l'argent ou a manger, ou n'importe quoi. La petite a droite surtout, qui me demande a manger alors qu'elle a une glace dans la main !
La route est sympa, je pédale peu et dépasse les troupeaux qui redescendent de la montagne. Mais même en descente je sens que je fatigue. Les derniers jours et la cote de ce matin me reste dans les genoux... Je fais une pause a Kochgor pour changer 20 euros et trouver un internet qui ne fonctionne qu'a moitie. Puis je quitte la ville, décidé a me poser tôt. Les prairies me font de l'œil mais elles sont un peu trop proches de la route et des habitations a mon goût donc je pousse jusqu'au réservoir, un grand lac artificiel. Celui-ci se révèle être de toute beauté. Le sable, les oiseaux, les odeurs de sels, tout y est pour me rappeler la mer. Même... le vent, qui souffle comme un enragé. Ajoutez a ça un sol pierreux ou il est impossible d'arrimer la tente... Je fais une tentative plus qu'inutile pour descendre vers la « plage » mais tout ce que j'y gagne, c'est pousser le vélo dans le sable et les graviers en m'épuisant pour remonter sur la route. Je continue donc puisqu'aucun abris ne s'offre a moi. Ça grimpe et rien ne change. J'ai faim, j'ai mal au genou... Vaincu, je prends un chemin perpendiculaire a la route et vais planter la tente en plein vent, juste avant que le soleil ne se couche...
Le reservoir.
C'était la journée de trop je crois et le lendemain je sens que mon genou ne va pas du tout être d'accord pour repartir. Je passe la matinée a lire et a faire de la mécanique (toujours ce dérailleur possédé par le démon !) puis décolle vers 13h, pour arriver au lac d'Issyk Kol, prendre de l'eau au premier village et planter la tente avant 15h, dans l'herbe grasse et abrité du vent par un bosquet d'arbre, pour changer.
Une petite vidéo en roulant, ICI.
(merci d'apprécier la technique de cadrage finale !)
Le lendemain, le genou est encore sensible. Je le ménage tant que je peux et change mille fois de position pour pédaler. Un peu de pluie, un peu de montées, mais je redescend finalement vers le lac pour le soir. Le temps est couvert et c'est bien dommage car a chaque éclaircie je prends la mesure de la beauté des lieux. Le lac, immense, et les cimes enneigées de part et d'autres.
Ce soir la je campe entre un champs et un ruisseau avec vue sur le lac d'un coté et les montagnes de l'autre.
Les couleurs ne sont pas truquees. Vive l'automne !
Encore une autre journée pour arriver a l'autre bout du lac. Le genou se tient a peu près tranquille tant que je ne force pas trop. Ça finira par se résorber avec le temps. En tout cas la douleur n'a plus rien a voir avec ce que c'était au tout début, avant de me reposer a Bishkek.
Le lendemain, on change de décor. Après une matinée sur la route principale, je bifurque vers la vallée de Yeti Otuz pour une petite randonnée dans la montagne. De toutes les vallées superbes autour de Karakol, celle-la semble être accessible aux véhicules et également une des plus belles donc.
Me voilà grimpant vers le village, puis vers l'extrémité « civilisée » de la vallée puis sur un chemin entre les parois rocheuses. On se croirait en plein grand Nord canadien !
Après 5 km, le chemin s'ouvre sur une superbe vallée, habituellement peuplée de yourtes accueillant les randonneurs. Mais la saison est finie et j'ai tout cette espace pour moi tout seul !
Voir mon arrivée ICI.
Ce soir, diner au feu de bois, sous les étoiles.
Et la nuit ne sera pas terrible, car j'aurai un peu froid et surtout je serai souvent dérangé par un animal non identifié venant roder autour de la tente et même subtilisant ma poubelle... Au matin, tout est gelé et je plie bagage sous un soleil malheureusement un peu voilé qui ne chauffe pas beaucoup.
Peu importe, a midi, je serai dans une ville, avec un vrai lit, un vrai douche et un repas chaud au restaurant (le mot de restaurant est un peu fort, vous vous en doutez...).
A peine arrive au restaurant, je tombe sur un couple de londoniens a qui je donne rendez-vous pour diner, dans un endroit qui ressemble déjà plus a ce qu'on appelle un restaurant dans notre douce France. On s'offrira même une bouteille de vin moldave tout a fait buvable (heureusement, elle est plus cher que ma chambre!).
Voilà, je me suis donc bien reposé a Karakol et je repars demain vers la frontière de toutes les incertitudes. Mais je suis confiant. En faisant pitié avec mon vélo, ma barbe et mon visa arrivant a expiration, je devrai passer. J'ai même acheté un paquet de cigarette pour corrompre les gardes frontières s'il le faut. Comme vous voyez je ne recule devant rien !
Voilà. Profitez de l'album photo du Kirghizistan, j'en ai mis un paquet.
Prochaine nouvelle, qui sait ? Peut-être serai-je... en Chine !!!!!!